En novembre dernier, Edmonde Charles-Roux, présidente du jury de l’Académie Goncourt, justifiait ainsi le choix de Syngué Sabour d’Atiq Rahimi : « C’est un livre qui défend la cause féminine ». Et de poursuivre : « Le Goncourt cherche à récompenser un livre social ». Œuvre sociale et cause féminine, voilà qui définit parfaitement l’action de l’écrivain-cinéaste franco-afghan. Après le déferlement médiatique qui a succédé à l’attribution de son prix, nous avons rencontré Atiq Rahimi, « humble dans son bonheur comme son peuple l’est dans la souffrance ».
L’homme
Né en février 1962 à Kaboul, l’enfance d’Atiq Rahimi a été bercée - grâce à un oncle francophile - par les récits de Rousseau, Hugo et Dumas. Sa scolarité au lycée français d’Esteqlal (dont le nom signifie Indépendance) affermira son goût pour la culture française. Contraint de fuir son pays qui a sombré dans le chaos, Atiq obtient en 1985, l’asile politique en France. « Exilé culturel » il obtient un doctorat en audiovisuel à la Sorbonne et se consacre à l’écriture et au cinéma. Depuis la chute du régime taliban dans son pays en novembre 2001, Atiq passe un mois sur deux à Kaboul où il s’implique dans la programmation de Tolo Tv, une petite chaîne privée qui dépoussière la télévision institutionnelle. « J’y anime un atelier d’écriture et de réalisation avec des jeunes Afghans, quatre garçons et deux filles dont une réalisatrice formidable de 25 ans. Nous en sommes à la troisième saison d’un soap opéra que nous avons lancé. Sous couvert d’intrigue amoureuse truffée de scènes comiques, il s’agit d’évoquer des thèmes souvent traumatisants du quotidien : guerre, menace, corruption mais également violence domestique. Chaque membre de l’équipe donne son avis sur les personnages, à partir de son expérience. Dans un pays où l’habitude des mariages arrangés reste très ancrée, l’amour choisi et partagé y est présenté comme une source d’épanouissement. Il y a même une « Star Ac » qui en est à sa sixième saison. Je préfère voir un jeune garçon prendre un instrument de musique plutôt qu’une arme. »
L’écrivain
Après « Terre et Cendres » (2000)*, « Les Mille Maisons du rêve et de la terreur » (2002),
« Le Retour imaginaire » (2005), Syngué Sabour (Pierre de Patience) également publié chez P.O.L. l’année dernière est le premier livre qu’Atiq Rahimi a écrit directement en français. « C’est peut-être à cause du sujet, la langue maternelle étant celle avec laquelle on apprend les interdits et les tabous ». Ce récit trouve son origine dans le destin de Nadia Anjuman, poétesse afghane de 25 ans, morte en 2005, sous les coups de son mari, un professeur plutôt sympathique et avenant. Selon Atiq, ce serait la propre mère de Nadia qui l’aurait poussé à ce geste pour que l’honneur de la famille cesse d’être entaché par la « liberté » de la jeune femme. « Curieusement, même si je me suis demandé ce qui a bien pu passer par la tête de cet homme, pour commettre l’irréparable sur la mère de ses enfants, c’est la victime qui m’a m’insufflé cette histoire. Pourquoi ai-je eu accès à toute cette intimité, à toute cette violence ? Je n’ai pas de réponse. » Et de reprendre après un silence : « En Afghanistan comme ailleurs, la condition humaine ne peut s’améliorer sans celle de la femme. Or là-bas, tradition, religion, famille créent autant de verrous intérieurs qui empêchent la libération de la parole. » Atiq Rahimi dédie son livre « à toutes les femmes du monde » et cette dédicace revêt un écho singulier pour de nombreuses Européennes qui n’ont toujours pas la liberté de disposer de leur corps – comme les Irlandaises pour lesquelles l’avortement reste répréhensible. « Pour combattre l’obscurantisme, conclut Atiq Rahimi, les armes à notre disposition sont multiples, mais la plus sûre et la plus efficace est l’éducation. »
Thème de Syngué Sabour
Sans être sûre d’être entendue, une femme profite du coma dans lequel se trouve son mari pour lâcher la bonde des « non-dits » qui ont jalonné son existence. Du chuchotement à la rage, elle dit tout : les souffrances, les rires, les ruses, les gémissements… Rebelle, elle revendique ses désirs y compris sexuels. « En persan, souligne l’auteur, le même mot veut dire corps et âme ». Dans ce livre, à l’écriture incisive, le corps de l’héroïne est envisagé comme un lieu de libération : de la chair douloureuse et sacrificielle au « corps-sujet » en passant par l’objet « d’échange commercial ».
* porté à l’écran en 2004.
ATIQ RAHIMI IN ENGLISH
A Thousand Rooms Of Dream And Fear by Atiq Rahimi translated by Sarah Maguire, Yama Yari
EAN: 9780099461968 - Format: Paperback- Published: 2 Aug 2007 (Random)
Short but powerful...The beauty of the language lends this work a haunting clarity - The Herald
Earth And Ashes by Atiq Rahimi
Publication date: 02/10/2003 • 64 pages • B format • EAN: 9780099442127 (Randon)
Laurence Garcia (France-Inter) rencontre Atiq Rahimi, dimanche 8 mars à 10h10.
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