par Gael Staunton
Sheila Pratschke, vous avez été nommée directrice du Centre Culturel Irlandais à Paris en Janvier 2007, peu de temps après la fin des travaux de conservation et de restauration du Collège des Irlandais de Paris, institution séculaire.
Vous arriviez au moment où il fallait passer du projet à la réalisation et donner vie à la transformation du Collège qui allait en faire ce qu'il est aujourd'hui, le premier Centre Culturel Irlandais au monde. Votre mission fut de relever alors un véritable défi, avec pour objectif la promotion en France de la culture contemporaine irlandaise sous tous ses aspects: arts plastiques, littérature, théâtre, musique, danse.
Avant d'être nommée à Paris, vous aviez dirigé The Tyrone Guthrie Centre, un lieu de création particulier, chaleureux, innovant et confortable pour artistes de différents univers. Plus avant encore, vous étiez la directrice de l'Irish Film Institute in Dublin. Autant dire que votre parcours vous avait offert une riche complicité avec toutes les expressions artistiques de l'Irlande".
Courant d'Eire : Pourriez-vous nous dire, en quelques mots, quelles sont en pratique les sources de financements du Centre Culturel, quelle place y occupe l'Etat irlandais, et comment cela fonctionne ?
Sheila Pratschke : Trois sources de financements : la Fondation irlandaise (organisation franco-irlandaise) - Le Ministère des Affaires étrangères de l'Irlande - les Subventions artistiques de Culture Ireland, pour chaque projet, il faut défendre un dossier.
C.E. : Comment avez-vous conçu votre travail, qu'avez-vous essayer de faire concrètement durant cette période ?
S.P.: D'abord, je dirais que j'ai fort apprécié le lieu : son histoire, sa localisation particulière dans Paris au cœur du quartier latin, mais aussi l'outil culturel performant, le bâtiment, les équipements. Revenir à Paris dans de telles conditions fut un véritable bonheur. Puis j'ai découvert une équipe très motivée et progressivement un public fidèle, varié et je l'avoue audacieux, ouvert, passionné d'Irlande. Ce n'était cependant pas gagné d'avance.
Mon travail fut aussi de conquérir un public nouveau et aussi d'initier des programmes moins attendus, plus contemporains, plus novateurs moins consensuels, des problématiques artistiques qui reflètent les changements de la société irlandaise.
Je crois que j'ai proposé au public du Centre Culturel irlandais une vision plus large de la création irlandaise; ce fut, en tous cas, chaque fois mon objectif.
Par ailleurs, j'ai toujours voulu respecter la parité. En Irlande ce n'est pas simplement respecter l'égalité numérique d'artiste féminin et masculin. C'est aussi veiller à mêler artistes des villes et artistes des champs1, et j'ai appréhendé la culture irlandaise dans son entité la plus large sans omettre l'Irlande du Nord.
J'avais accepté cette mission dans ces conditions : liberté de choix, mixité.
Ma détermination et
une bonne dose de diplomatie m'ont permis de garder cette ligne de conduite et ainsi d'offrir au public un panorama réaliste de la société irlandaise à travers ses artistes.
C.E. : Quel serait votre top 10 des événements durant votre « directoire » ?
Avez-vous un petit regret, une audace que vous auriez réfrénée, un projet qui n'a pu aboutir ?
S.P.: D'abord je rappellerai que je suis2 arrivée à ce poste en 2007, pendant les glorieuses années du tigre celtique, l'Irlande était ambitieuse, riche et dont il y avait une émulation perspective grande. Mais très vite, la crise financière de 2008, a réduit l'aisance financière sans pour autant limiter l'ambition et nous avons poursuivi les mêmes objectifs.
Je reconnais que les engagements financier pris par le gouvernement en 2007 ont été respectés et nous ont permis de poursuivre et de mener à bien les projets envisagés. Bien sûr, la manne financière s'est réduite sur les engagements suivants, et il nous à donc fallu apprendre à être à la fois ambitieux et économe, efficace et moins dispendieux.
Nous pouvons être fier de notre programme : la refonte de la bibliothèque-médiathèque, le partenariat avec la B.N.F. sur la bibliothèque patrimoniale, la mise en place de notre programme de bourses à destination d'étudiants, de chercheurs en plus des bourses artistiques et des accueils en résidences. Nous avons aussi participé activement à deux présidences européennes celle de La France puis celle de l'Irlande mettant ainsi à l'honneur, l'histoire, l'implication, la créativité des deux pays.
Nous avons célébré avec un programme riche, les 10 ans du Centre Culturel Irlandais en 2013. Nous avons aussi eu les honneurs de la visite du Président de la République irlandaise dont l'implication culturelle n'est plus à décrire. Elle est pour lui, l'essence du futur de l'humanité.
Il me plait de me souvenir du Festival de Théâtre de Brian Friel, de l'exposition de photos du Général de Gaulle en Irlande, de la soirée de clôture du marché de la poésie avec Seamus Heaney3, des concerts de Jazz irlandais, des mardis du cinéma irlandais, des soirées discussions avec Fintan O'Toole et de toutes ces aventures artistiques qui furent des rencontres humaines riches parfois bouleversantes.
Un regret : oui, au moins un, celui de n'avoir pu trouver les ressources financières pour accueillir en résidence encore plus d'artistes. Les artistes créant, réfléchissant, en direct insufflent une énergie forte, particulière et j'aurai aimé pouvoir multiplier le nombres des résidences annuelles, qui est actuellement de 6 artistes par an.
Un autre bémol ? Celui de n'avoir pu réussir à caler les agendas et les disponibilités de tous ceux qui acceptaient les invitations de venir au Centre Culturel Irlandais sans en trouver le temps. Ceci est finalement la preuve qu'il reste une multitude d'artiste à accueillir à Paris à l'instar de Sebastian Barry qui dit : Continuez, s'il vous plait, de m'inviter à venir, je finirais par y parvenir.
C.E. : Pensez-vous que la Culture irlandaise soit appréhendée dans sa globalité en France ? Si la musique et la littérature irlandaises sont des domaines plutôt connus des Français, y a t-il des domaines plus méconnus, voir totalement ignorés ?
S.P.: Il y a encore des domaines à faire découvrir et à explorer... les artistes irlandais qui œuvrent dans les nouvelles technologies la vidéo, la BD, le D.I.Y. animation ... et puis encore et encore la musique dite classique avec des artistes contemporains irlandais qui innovent, qui créent attachés à la tradition mais résolument de leur époque. Les
C.E. : Pouvez-vous nous dire de ce qui fut difficile et pourtant mené à bien avec votre équipe ?
S.P.: Ce qui fut peut être le plus difficile, fut de ne jamais céder à l'acquis, à la facilité, refuser de faire du "clientélisme", nous avons la mission de donner à voir, d'éveiller la curiosité, voir de provoquer notre public. Nous devons faire plus que de lui offrir ce qu'il connait ce qu'il apprécie déjà. Bien sûr, que nous ne le privons pas des classiques de la culture irlandaise mais notre mission est aussi de l'éveiller à plus encore.
La difficulté consistait à trouver l'équilibre, à acquérir la confiance du public pour qu'il nous suive sur des spectacles moins "faciles" plus contemporains.
Ce fut vrai pour le jazz, la danse... où nos premiers spectacles accueillaient 30 personnes et aujourd'hui ces spectacles remplissent la cour ou se jouent à guichet fermé.
Et puis, il y eu l'ouverture du Centre culturel Irlandais, les portes ne sont plus fermées et le public peut aller et venir... comme une fenêtre culturelle de plus, ouverte sur le quartier.
J'ai aussi beaucoup apprécié l'esprit dans lequel nous avons travaillé : une équipe pluridisciplinaire qui a fait bloc, qui s'est développée avec motivation, imagination, implication. Il y a une habitude de consensus, de dialogue, de confiance.
Diriger cette équipe signifiait donner des impulsions, des objectifs et laisser beaucoup de possibilité d'initiatives. Je dirai donc que nous avons su travailler ensemble car nous avions envie de le faire et cela a sans doute été aussi un facteur fort de notre succès.
C.E : A l'heure des bilans, comment qualifieriez-vous le votre...
S.P.: Il n'est jamais simple de s''auto-évaluer mais je qualifierai mon bilan de positif. J'avais accepté un challenge, sorry — Sheila, aime et parle le français avec élégance — un défi, qui est une mission au long cours dans un domaine en mouvement. L'art c'est l'image, le reflet du monde à un temps T et bien sûr, au Centre Culturel, nous avons la mission de durée.
Nous sommes un transmetteur, nous ne sommes pas un musée mais nous avons aussi cette mission patrimoniale. Il est important d'être aussi un relais de savoir, de connaissance, de compréhension, d'interprétation du passé, de la tradition artistique, c'est une dimension indispensable pour comprendre la création du présent et encourager celle du futur. Savoir et accepter d'où l'on vient pour imaginer où l'on veut aller.
Pour synthétiser, je pense que Le Centre Culturel irlandais de Paris a aujourd'hui une réputation d'acteur culturel respecté et cela ce n'est pas facile à conquérir dans une ville comme Paris avec une proposition aussi variée.
Nous avons initié, partagé des aventures diverses et d'envergures différentes dont nous pouvons être fiers : le Marché de la poésie, avec 16 poètes irlandais accueillis, des soirées de poésie remplissant la cour, deux anthologies de poésie publiées, le Festival du cinéma européen : L'Europe autour de l'Europe pour ne citer que celles-ci.
C.E : Au moment de vous souhaitez bon vent, bon cap, pouvez-vous déjà nous confier ce que pourrait être votre futur proche ?
S.P.: Du repos, retrouver une certaine sérénité. J'avoue avoir été très perméable au stress parisien. Je vais me retrouver, aller me ressourcer en Irlande où j'espère trouver le temps d'écrire, de voyager, de profiter de mes enfants. Sans doute que je vous retrouverai pour vous raconter une autre aventure.
Écrivez à Sheila Pratschke : Vous avez été les spectateurs, les visiteurs du Centre Culturel Irlandais, n'hésitez pas à nous envoyer vos commentaires... ce que vous avez vu, ce que vous avez aimé, ce que vous avez découvert...
Note de l'interviewer - Gaël Staunton remercie Sheila Pratschke d'avoir accepté de nous raconter "son" Centre culturel , ce fut une longue discussion informelle, ouverte, décontractée qui aurait pu durer des jours...
1 l' expression est journaliste empruntant à la fable de la Fontaine le raccourci stylistique -
2 Sheila dit souvent nous en parlant de son action au Centre Culturel irlandais - 3 la rencontre avec Sheila eu lieu avant la disparition du poète irlandais Seamus Heaney -
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