Je suis allée à Bruxelles afin de voir l’exposition Changing States, consacrée aux artistes irlandais en honneur de la présidence irlandaise de l’Union Européenne. J’ai été impressionnée par l’événement dans l’ensemble – qui se tenait au cœur même de Bruxelles au BOZAR – ou Palais des Beaux-Arts - elle donnait un aperçu intéressant de la situation des arts plastiques en Irlande aujourd’hui.
Avec un large éventail, l’exposition couvrait les nombreux aspects des arts actuels : installations, sculptures, tableaux, dessins et vidéos.
Une des expositions les plus marquantes était celle de l’atelier de Francis Bacon précaution-neusement transporté à partir de la Municipal Gallery à Dublin.
En tant qu’un des artistes les plus innovants et marquants du 20ème siècle, Bacon n’est pas toujours associé à l’Irlande – il y est né en 1909, le fils d’un officier de l’armée anglaise retraité, qui s’y était installé pour élever des chevaux de courses. La famille rentra de façon permanente en Grande Bretagne en 1925 afin d’éviter les conflits inhérents aux « Troubles » irlandais En réalité, Francis Bacon n’y a plus jamais habité, étant surtout domicilié à Londres, où se trouvait le célèbre atelier. Mais il gardait des bons souvenirs de l’Irlande et a expliqué plus d’une fois que les fenêtres arrondies dans plusieurs scènes d’intérieur était fondées sur la maison de la famille dans le comté de Kildare. C’était un ami proche de Louis Le Brocquy et de sa femme Anne Madden, jusqu’à la fin de sa vie.
Après sa mort, l’atelier fut transporté à Dublin où il demeure. C’est une œuvre d’art en soi, rempli des restes épars de toute une vie passée dans la quête de l’inatteignable, et donne à voir ainsi une image fascinante de l’esprit et de la créativité d’un autre. Tout s’y trouve, les magazines, les livres, des fragments de journaux, des vieilles photographies des icones contemporaines de l’époque de Bacon. On y trouve de nombreuses œuvres y compris une série d’après les célèbres photographies de Muybridge qui ont inspirées des toiles, ainsi que des portraits de ses amis et amants.
Les autres salles au BOZAR proposent un vaste panorama des préoccupations actuelles des artistes irlandais contemporains – une sculpture frappante de Dorothy Cross « Parachute » envahi l’espace, dans laquelle une mouette est suspendue sous les plis d’un parachute, au-dessus de l’océan. Non loin de là, dans une salle voisine se trouve une grande installation de Eva Rothschild, intitulée « Stalker » qui semble prête à basculer. Le matériau noir en perspex et les supports en bois nous donne presque le vertige. Une autre salle sert de cadre à une vidéo fascinante de Willie Doherty, intitulée « Ancient Ground » - la caméra survole une tourbière dans le comté de Donegal, dans laquelle la terre et l’eau se rejoignent et se complètent. La voix narratrice est excellente, un morceau de bravoure reflétant l’inconscient, l’interaction de la terre et de l’eau comme celle des souvenirs, pas toujours agréables, et des regrets…
Une autre visite m’a beaucoup marquée ce jour-là : celle du Musée Magritte tout prêt des Beaux-Arts sur la place Royale. Il s’étend sur trois étages et contient la plus grande collection au monde des œuvres de l’artiste belge, surtout connu pour ses nombreuses toiles aux titres provocateurs. Les nombreuses salles, sur trois étages, reflètent tout l’historique de son parcours artistique. Très jeune déjà, Magritte nous donne à voir sa vision surréaliste du monde environnant, que ce soit en photos, croquis, ou bandes dessinées. En regardant l’œuvre complète, il est assez fascinant de constater à quel point il influe encore aujourd’hui les images contemporaines – son approche visuelle, objective et néanmoins ironique , sa façon de détourner les objets les plus ordinaires – une pipe, une pomme, un oiseau en plein vol – en quelque chose de foncièrement autre… Je ressentais sans cesse l’impression de reconnaître des affiches contemporaines de films, d’affiches. On retrouve aussi dans ce lieu la série de toiles que Magritte a peint très rapidement pour une exposition à Paris qu’il ne voulait pas vraiment faire et pour laquelle il a produit pratiquement des « pastiches » de son propre travail « juste pour agacer les intellectuels parisiens »… Très amusant et revigorant – cela nécessite certainement une autre visite. L’accrochage est très précis, l’éclairage subtil, sans aucun effet de m’as-tu-vu.
Une autre découverte pendant ce week-end a été le musée tout récent à Anvers, le MAS. C’est un bâtiment extravagant, d’une hauteur de dix niveaux, qui a pris cinq ans à construire (2007-2011). L’architecture est pratiquement indescriptible, avec des esplanades circulaires, des façades en verre chatoyantes, et des toits ondulés transparents. Son but est de renforcer la place d’Anvers en tant que deuxième ville portuaire en Europe. En réalité, il comprend trois musées en un seul, ce qui lui confère une ambiance intemporelle, une expérience hors du temps. Il y a en particulier le Musée Maritime, un musée dévolu à l’histoire coloniale en Afrique et en Amérique Latine, ainsi que le musée constituant de l’histoire même de la ville d’Anvers, en tant que lieu de transit pour le trafic maritime, à travers les siècles. Il y a aussi une impressionnante série de salles qui présentent une collection d’art Précolombien, un prêt à long terme du gouvernement flamand.
La taille même des nombreuses collections veut dire que l’on doit se rendre au MAS en plusieurs fois, afin de vraiment appréhender et savourer les objets et documents qui s’y trouvent rassemblés. Cependant l’architecture très originale du lieu permet d’identifier chaque spécificité et de ne visiter que ce sujet.
Au fond c’est une histoire encyclopédique du port et de son rôle prépondérant en Europe au cours des siècles.
The Irish Eyes remercie Thalys .